Aujourd’hui, c’est un peu comme une sorte d’anniversaire du peuple français. On le met à l’honneur par de la musique, des pétards et des cris de liesse, un beau défilé militaire, des émissions radiophoniques et des reportages télévisés. Les descendants de ceux qui s’amusèrent à démolir des murs croulants perpétuent, comme chaque année, depuis plus de deux siècles, le souvenir d’une journée de carnaval tragi-comique ; mais, pourtant, les héritiers du Tiers État sont partis précautionneusement à la campagne, guindés dans leurs plaisirs de bourgeois satisfaits. Eux ne vivent pas de souvenirs. Avant de partir, ils ont mis tout en place pour que le peuple s’amuse, comme des parents qui préparent pour leurs enfants une surprise-partie et se sauvent bien vite car ce n’est plus de leur âge. Au retour, ils rangeront les bouteilles vides et ramasseront les guirlandes écrasées et retourneront à leurs responsabilités tandis que le peuple retournera à son collier. Les psychiatres de l’histoire ne manqueront pas de voir dans le 14 Juillet, comme dans toutes les fêtes nationales, une excellente thérapeutique pour les nerfs populaires, un merveilleux échappement des gaz brûlés.

Je persisterai pour ma part à y voir le souvenir de la journée des dupes. Si seulement la République organisait pour ses sujets des fêtes gratuites, comme on pouvait en voir sous les rois, où le sang du Seigneur coulait généreux des fontaines publiques… Mais non ! Même le gâteau d’anniversaire doit être payé, et les marchands de pétards, de lampions et d’attrape-nigauds regrettent fort qu’il n’y ait qu’un 14 Juillet ; le peuple aussi, toujours en quête du moindre congé ; mais le bourgeois est avare de sa petite monnaie. C’est bien assez qu’il paye d’une journée de repos les descendants de ceux qui, jadis, ont donné à ses ancêtres le moyen d’emplir leur gousset. Que c’était triste et que c’était bête, oh ! oui, de voir un homme bien né jouir du luxe qu’il n’avait pas gagné ! Mais l’histoire aurait vraiment dû tourner sept fois sa langue dans sa bouche et contenir sept fois la fureur populaire avant d’attribuer ce luxe à des fabricants de chimères et, un peu partout dans le monde, de 14 Juillet.

14Juillet… Anniversaire de la journée des dupes. Le 14 juillet, quand ils prirent la Bastille, ils s’attaquaient à l’ombre et lâchaient la proie. Ils abattaient des pierres branlantes pour construire le mur de l’argent.

14 Juillet… Anniversaire d’une déchéance. Le 14 Juillet, quand ils perdirent la Bastille, ils laissèrent ainsi s’échapper un fou, un fils de famille dévoyé et deux ou trois escrocs. Ils laissaient s’ouvrir les prisons qui les enfermeraient et où la haine ne ferait pas de quartier.

14 Juillet… Anniversaire d’une escroquerie. Le 14 Juillet, quand ils firent prendre la Bastille, ils occupaient déjà le peuple à la triste besogne qui est depuis lors son lot : ils occupaient le peuple à enlever des pavés pour les mettre ailleurs, pour qu’il reste tranquille pendant ce temps-là et pour cela leur permette de voler à leur guise.

14 Juillet… Un homme en fait assassiner un autre puis il dit à son tueur à gages : « Fais le guet. » et il vole impunément le guetteur. Le 14 Juillet portait dans ses flancs les jours de la Commune. La Commune… Pas d’anniversaire, pas de drapeaux, pas de pétards et pas de lampions, pas de bals. Jour de deuil. Le tueur à gages avait fini de se laver les mains. Il pouvait faire le guet plus aisément, en s’accordant de temps en temps un petit coup d’œil en arrière. Il s’était retourné… et il avait vu ! Il avait vu que, pendant qu’il faisait le guet, on le volait ! Et il s’était mis en colère. Il avait de nouveau saisi son poignard. L’affaire avait été chaude et il avait été blessé ; car le mur de l’argent était un mur neuf et solide : il le savait bien, lui qui l’avait construit avec les débris de la Bastille, de cette bonne Bastille qui s’était laissée prendre, presque sans un coup de canon. Maintenant, les canons ne cessaient de cracher et le sang coulait comme d’une cataracte.

La Commune… Le criminel se faisait juge et pendait haut et court son complice d’un jour.