Les femmes savent jouir de la vie. Les hommes ne savent que passer la leur à se demander ce qu’ils vont en faire. Il y a chez la femme un côté de grandeur qui se traduit par son attachement à des petits riens, à une mode toujours passagère, à des choses belles et inutiles. L’homme ne comprend rien à cette grandeur qui consiste à se gaspiller dans la futilité, car il prend trop la vie au sérieux, faisant toute chose pour la postérité, qui souvent se moque bien de lui. Construire un pont et le vouloir grand, solide et durable, utile, c’est dans le fond bien enfantin ; et compter ses ans en rouges à lèvres et en robes, n’est-ce pas agir magnifiquement à l’instar de ces princes russes pour qui la vie finissait souvent comme une bouteille de Champagne ? Les femmes méprisent peut-être les hommes pour cela : parce qu’ils se comportent comme des enfants, pour qui le jeu n’est pas un jeu, mais un rite sacré, sérieux, souvent triste. Pour une femme, choisir une paire de chaussures est bien plus important que choisir un président de la République ou un plan d’urbanisme, parce que le choix d’une paire de chaussures, de par sa futilité même, est dans le sens de l’esprit artistique, dans le sens de l’inutilité souveraine et tragique de la vie. Choisir un président de la République ou un plan d’urbanisme, c’est vouloir faire du durable sur du sable fin, c’est sacrifier l’agréable à l’utile, les jours que l’on vit aux jours qui n’existeront plus, c’est vouloir sottement qu’il n’y ait pas de fin. C’est être le contraire d’un esthète éclectique, le seul être digne de mourir dans son lit.

Quand la vieillesse vient, la femme ne regrette que sa jeunesse, sa beauté, ses amours, sa vie. L’homme, qui n’a toujours rien compris, regrette ses forces d’antan et tout ce qu’il n’a pas pu faire, gaspillant en rêveries utiles les quelques bribes de sa vie inutile qui lui restent à vivre. La mort d’une femme est un rideau qui tombe sur une pièce achevée. La mort d’un homme est une méchante trappe qui s’ouvre brusquement sous les pieds d’un acteur qui n’a encore rien dit, occupé qu’il était à parfaire le théâtre où se donne la comédie humaine.