La liberté c’est la possibilité de justifier ses actes comme on l’entend. L’esclavage c’est la situation dans laquelle on se trouve lorsque, avant d’agir, on se dit : « Je fais ceci parce qu’on m’y oblige. » En réalité, l’homme est toujours obligé d’agir, mais il aime choisir son obligataire : l’honneur, l’amour, l’intérêt, la haine, le désir, le devoir… mais surtout pas le pouvoir. Celui-ci est le plus efficace quand il ne se nomme pas et il est réputé libéral quand il n’existe pas. En réalité, le pouvoir le plus libéral, le plus libérateur, est celui qui impose à ses sujets des actes contraires à leur nature, à leurs tendances, celui qui tend à libérer les hommes de leur déterminisme ; mais un tel pouvoir ne tient pas longtemps car la nature reprend ses droits et c’est très bien ainsi. Il vaut sans doute mieux contrarier quelques surhommes plutôt que de courir le risque d’enrager tout un peuple ; car l’homme n’aime pas se dépasser : ce qu’il nomme sa volonté va toujours dans le sens de ses désirs les plus naturels. La véritable volonté, ce n’est pas d’oser faire ce pour quoi on est fait, mais c’est, par exemple, pour le quadrupède de décider de vivre en bipède, c’est pour la fleur de décider d’être un animal, c’est pour l’homme de rejeter sa nature d’homme et son déterminisme d’homme. Ainsi, celui qui est capable de tendre l’autre joue lorsqu’on le gifle, ou de bénir ceux qui le maltraitent dans ses intérêts, dans ses affections, ou de punir ceux qui l’aiment, celui-là est libre. La liberté, certes, est alors un enfer et on peut légitimement préférer ne pas être libre à ce prix ; mais il ne faudrait pas s’imaginer qu’il puisse exister une autre sorte de liberté ; et il est notamment absolument inutile de faire quelque révolution que ce soit pour soit disant se libérer d’une prétendue tyrannie politique. Quand on est bien persuadé que tout acte humain est un acte déterminé par la nature humaine, peu nous chaud qu’un individu qui se croit inspiré nous commande d’une voix rude de faire ce que l’on ne peut pas ne pas faire. Là où la révolte politique est utile, a une raison d’être, c’est lorsque ce tyran prétend faire de nous autre chose que des hommes et pour cela nous entraîne dans un univers concentrationnaire. On n’est pas libre sur cette terre mais on a au moins le droit de ne pas vouloir l’être à n’importe quel prix.