Hemingway prétend que l’écrivain doit être un chasseur solitaire poursuivant la vérité. Quelle belle image, pleine de promesses d’aventures, de mystères, de joies et de souffrances, de vie passionnante ! L’écrivain serait donc alors essentiellement un aventurier, un aventurier de pensée et non d’action, mais un aventurier. Aventure biographique d’abord : le succès et l’échec de celui qui a entrepris de vivre de sa plume ne sont pas des données prévisibles ; ici, pas d’avancement certain, pas de rentrées d’argent régulières, pas de certitude dans la carrière, pas de retraite assurée ; exactement le contraire d’un fonctionnaire. Aventure purement spirituelle aussi, et surtout : la vérité ! Ça n’est pas un animal comme les autres. Elle n’a pas d’habitudes bien déterminées, elle ne s’abreuve pas toujours aux mêmes sources et ne loge pas spécialement dans certains trous. Elle n’obéit pas à des mœurs précises et quand, par hasard, on peut l’observer longuement, elle ne se laisse pas mettre en lois, même des plus élémentaires. Tantôt elle apparaît impunément au grand jour, avec un tel éclat que les yeux se ferment et refusent de la considérer ; tantôt elle se cache si bien que les esprits les plus subtils, las de la chercher, finissent par nier son existence même. Elle ressemble un peu à l’abominable homme des neiges que nul ne semble avoir jamais vu. Hemingway l’a toujours cherchée. Il a donc été écrivain sans discontinuer. Il est allé la chercher sous tous les azimuts. Peut-être s’est-il inutilement fatigué ? Peut-être aurait-il mieux fait de s’asseoir, comme Bouddha, et de la pourchasser là où elle était, dans sa tête ? Peut-être, mais ce n’est pas certain. Ce n’est pas certain et pourtant il y a de fortes chances que ce soit vrai. Bouddha semble l’avoir trouvée, la vérité. Il en a même trouvé quatre. La première serait que l’homme a des désirs qu’il ne peut satisfaire. La deuxième est qu’il souffre à cause de ces désirs inassouvis. La troisième est qu’il pourrait diminuer sa souffrance s’il consentait à calmer ses désirs ; et la quatrième qu’il tendrait à ce résultat en s’adonnant le plus possible à la spiritualité. Si Bouddha a vu juste, et si Hemingway ne s’est pas trompé en comparant l’écrivain à un chasseur de la vérité, une vie humaine me paraît bien insuffisante pour chasser la vérité du mot spiritualité. Qu’est-ce que l’esprit et qu’est-ce que la spiritualité ? C’est peut-être cela l’ultime, la vraie recherche… C’est peut-être cela la vocation de l’écrivain : la métaphysique ! Des siècles entiers de barbarie civilisée se sont bien moqués d’elle. Elle est même devenue synonyme de snobisme intellectuel. Riez, riez, chers disciples d’Auguste Comte, mais, voyez-vous, pour moi, la métaphysique, c’est encore ce qu’il y a de plus vrai pour un homme qui prétend sortir de l’ordinaire. Le reste n’est que chasse vulgaire, que talent gaspillé.