Quand on parcourt un dictionnaire d’histoire, véritable bottin mondain de la postérité, on éprouve souvent un malaise à voir défiler, sous chaque lettre de l’alphabet, des colonnes de gredins et de fameux assassins qui pressent et encerclent, comme pour les étouffer, quelques âmes claires et quelques saints de tous les domaines. Pour un roi pacifique et humain, que de monstres avides de plaisirs sadiques, pour un juste, que de guerriers féroces et impitoyables, pour un Jésus Christ, que de faux prophètes et de Tartuffes, pour un penseur, que de bavards stériles genre Sacha Guitry. On aurait envie de faire le fastidieux travail d’expurger ce beau monde des trois quarts pour le moins et de dégager ainsi de la boue et du sang les quelques milliers de figures qui ont illustré la grandeur de l’humanité, de ne retenir des assassins et des assoiffés de renommée macabre que ceux qui ont poussé à l’extrême l’assassinat et le sadisme pour qu’ils servent d’exemples repoussoirs aux hommes de demain. Quel ne serait pas notre plaisir de pouvoir épeler uniquement des noms comme ceux de Molière, de Delacroix, de Beethoven ou de sainte Geneviève ! Quelle serait notre antiseptique sauvegarde de tomber de temps en temps, seulement de temps en temps, comme par accident, et comme pour nous laisser souffler un peu, sur des noms effrayants comme ceux de Néron, de Marat ou de Staline. Hélas ! Ce serait, au fond, faire un travail artificiel et menteur consistant à retourner l’humanité et à nous en faire voir, grossi, le minuscule point de beauté et de grandeur. L’humanité est bien comme son image dans les dictionnaires : parmi quinze mille hommes que la mémoire retient, seuls quelques centaines n’ont pas été de grands démons ou de piètres rejetons d’Ève. Il faudrait au moins démythifier les dictionnaires, les rendre vrais jusqu’au tréfonds, de façon à ne pas donner à rêver aux nobles ambitieux lorsqu’ils contemplent cette longue liste de barbares dont on ne donne généralement que les actions et les paroles éclatantes, laissant trop souvent dans l’ombre leur noirceur et leur méchanceté, sauf quand elles eurent le mérite de se vouloir notoires.