Lire, c’est aspirer. Écrire, c’est expirer. La merveilleuse somme des pensées illustres est une inspiration pour celui qui écrit. Son œuvre chétive est une expiration qui nourrira à son tour, avec les autres œuvres de son temps, les écrivains des temps futurs. Lire, c’est prendre. Écrire, c’est laisser. Quand on a puisé abondamment dans le testament des devanciers, il faut avoir un fameux coup de génie pour restituer en quelques pages tout ce que l’on a ainsi pris, pour rétablir l’équilibre, pour ne pas avoir honte de son bonheur. Le saint de la littérature, c’est celui qui, n’ayant presque rien lu, aura passé sa vie à penser par lui-même, n’ayant rien pris et ayant beaucoup donné ; sainteté difficile et rare : comme le dit Rilke « Combien de villes faut-il contempler pour écrire un seul vers ! »

Lire, c’est écouter. Écrire, c’est parler. Le penseur est un homme qui cause avec les siècles dans ce salon exigu qu’est son siècle. Homère, Platon, Montesquieu, Racine, Bergson… et tant d’autres lui parlent. Il doit écouter longtemps et attentivement avant de pouvoir placer une phrase et répondre de temps en temps : magnifique dialogue ! Conversation de dieux. Que les mesquines polémiques qu’entretiennent entre eux les hommes de lettres contemporains sont loin de la majestueuse beauté de ces synodes, montagnes pures, blanches et glacées où les génies n’ont pas besoin d’un bon repas ou d’un cocktail – si littéraire soit-il – pour communier dans l’allégresse spirituelle.

Lire, c’est s’enrichir, se fortifier, c’est vivre. Écrire, c’est s’appauvrir, se vider, c’est mourir. Sur les livres antiques fleurissent souvent les fleurs inutiles et sottes des renommées passagères et rémunératrices ; parfois, oh ! bien rarement ! naît un humus riche, prometteur de vie éternelle, de réconfort constant et d’enrichissement posthume. S’il faut beaucoup de villes à contempler pour écrire un seul vers, ce vers devient une magnifique citadelle qui enchantera les yeux des poètes à venir.