Il n’y a pas des brigands et des saints, il n’y a pas des bons et des méchants, il n’y a pas des traîtres et des fidèles, des honnêtes et des fourbes, des dieux et des démons : il y a des hommes plus ou moins lâches.

La lâcheté est le vice de l’homme, sa tare, son cancer moral. Toutes nos actions et nos abstentions, nos paroles et nos silences, nos révoltes et nos soumissions, dépendent de notre degré de lâcheté et de notre appréciation des forces d’autrui. C’est notre lâcheté qui nous fait sans cesse hésiter entre la douceur et la violence, entre l’admiration et la haine, la foi et l’incrédulité, la ruse et la trique. C’est notre lâcheté qui nous fait mépriser nos inférieurs et ramper devant nos supérieurs. C’est elle qui fait déclarer les guerres sans merci et fait signer ensuite les paix raisonnables. C’est la lâcheté qui fait évoluer l’homme, lui donne ce caractère d’impénitente impermanence.

Être lâche, cela ne consiste pas, comme le croient les sportifs, à ne pas tenir le coup, mais simplement à se comporter en maître devant plus faible et en esclave devant plus fort ; cela dans nos actions ; et cela consiste aussi, simultanément, dans sa conscience sinon dans ses paroles, à dire du mal des plus forts, en secret, et à envier et admirer les plus faibles, dans le plus profond secret.

Le contraire d’être lâche, c’est aimer ; aimer au sens propre, c’est-à-dire satisfaire et non pas plaire. Quand on aime vraiment, au sens propre, on risque fort de ne plus être lâche du tout et, partant, de ne plus être humain. Voilà pourquoi les plus grandes amours ont toujours été férocement combattues, comme tout ce qui peut faire de l’homme autre chose qu’un homme, comme le climat, le feu, la maladie, la mer… Et d’autant plus férocement que cet ennemi-là, l’amour, est une partie de l’homme, vient de l’homme, a son siège dans l’homme même. Ce dicton est juste : les amoureux sont seuls au monde. Il faudrait ajouter : au monde des lâches.