Quand on parle du Père Teilhard de Chardin, on retient essentiellement de lui qu’il a voulu concilier entre elles la science et la foi chrétienne. Serait-ce l’indice d’un acheminement vers d’autres conciliations et, finalement, vers une certaine unité des connaissances et des croyances ? De même qu’il y a un cycle respiratoire de la sociabilité de l’homme, pourquoi n’y aurait-il pas un cycle respiratoire de l’intellect humain ? De même que l’humanité s’ouvre et se ferme au point de vue politique, passant graduellement du libéralisme au collectivisme, puis vice-versa, et ainsi régulièrement, pourquoi ne concevrait-on pas un mouvement semblable faisant se succéder alternativement unicité et disparité de la vision du monde ? Si l’on considère l’évolution des connaissances humaines, on s’aperçoit que les trois âges de l’humanité dont parle Auguste Comte ne sont qu’une classification artificielle d’un phénomène plus lent et plus profond : il n’y a pas vraiment d’étapes bien marquées, mais au contraire une lente désagrégation des connaissances en morceaux ou disciplines de plus en plus réduites dans leur objet, de plus en plus cloisonnées dans leur but et leur méthode. En un premier temps, celui qu’on appellera, faute d’un autre terme, le sorcier est, dans la tribu, tout à la fois un philosophe, au sens ancien, un religieux et un praticien. Il est concepteur d’un monde où la matière extérieure à l’homme, l’esprit humain et le corps humain sont étroitement mêlés ; de là des méthodes uniques et communes pour les trois domaines, qui nous font sourire aujourd’hui : il arrivait fatalement au sorcier de prier les choses et, au contraire, de donner un corps aux idées et aux pensées ; mais ensuite nous assistons à la phase d’expiration de ce cycle respiratoire, c’est-à-dire que le sorcier va « éclater ». Il y aura un philosophe qui s’occupera du milieu ambiant dans lequel est plongé l’homme, un prêtre pour s’occuper de l’âme et de Dieu et un médecin pour soigner et étudier le support de l’esprit et des sens. Enfin, nos conceptions modernes montrent très bien les suites extrêmes de cet éclatement puisqu’aussi bien, il y a à présent autant de savants spécialisés qu’il y a de choses perceptibles et autant de médecins spécialisés qu’il y a en notre corps d’organes. Seule la théologie n’a pas pu se diviser car on ne pouvait diviser l’invisible ; à signaler pourtant un essai de ce genre constitué par la métaphysique.

On peut donc légitimement se demander si une tentative comme celle de Teilhard de Chardin et, surtout, la curiosité et l’intérêt qui ont entouré cette tentative ne sont pas un signe prémonitoire d’une nouvelle « aspiration », d’un retour vers la position de départ, d’un mouvement prochain de concentration spéculative, préparant peut-être pour après-demain un mouvement de concentration des trois domaines de la connaissance. Allons-nous revenir au sorcier ? Peut-être, après tout ; ne sommes-nous pas en train de revenir vers une forme de vie étroitement communautaire ? Quand on considère ce phénomène, certain, lui, du retour à la vie tribale, on ne peut s’empêcher de croire à l’existence prochaine du sorcier.