Le christianisme, entre autres religions, a prétendu soulager la misère humaine en élaborant un paradis extra-terrestre. Son principe est celui d’une compensation. Le marxisme, entre autres idéologies, a prétendu soulager la misère humaine en élaborant un paradis terrestre. Son principe est celui d’une revanche. Ces deux grandes idéologies sont toutes deux des religions à moins que ces deux grandes religions ne soient toutes deux des idéologies. Quoi qu’il en soit, elles ont un point commun fondamental : la recherche du bonheur en dehors de l’homme.

Il est curieux cet aveuglement qui amène à associer dans la haine et le mépris la religion en général et la religion qui n’a plus nos faveurs. Aujourd’hui, être communiste, c’est être antichrétien et c’est donc, croit-on bien sincèrement, être plus généralement antireligieux ; bel exemple d’erreur : on rejette une religion pour se précipiter dans une autre en s’imaginant en même temps s’affranchir de la religion. Tant que l’homme n’a pas compris que le seul paradis valable et que le seul enfer tangible n’existent que dans son propre cerveau, il reste toujours un pauvre dévot, un pauvre fumeur d’opium. Croire, c’est toujours faire confiance et faire confiance, c’est surtout s’aliéner. Demain, peut-être, les faibles créatures que nous sommes jetteront le marxisme dans le panier du ridicule et du faux avec autant de ferveur qu’elles auront fait, par exemple, du christianisme. On se moquera du paradis terrestre comme on se sera moqué du paradis céleste ; mais ce sera peut-être pour forger un autre paradis, le paradis « spatial ». On vitupérera contre la religion tout en bâtissant fiévreusement de nouveaux dogmes, tout en préparant de nouveaux prêtres et de nouveaux martyrs. L’homme s’imaginera ainsi de nouveau s’être définitivement affranchi de l’opium en changeant simplement de pipe. Les fiévreux dévots du « Cosmisme » remplaceront simplement les dévots inquiets du marxisme. Le principe ne sera plus celui d’une compensation, ni celui d’une revanche : ce sera peut-être celui d’une conquête. N’importe : le principe sera toujours un principe religieux, créateur d’un paradis et d’un enfer extérieurs à l’homme. Il y aura toujours pour l’homme qui ouvre les yeux sur l’extérieur un horizon, une partie inconnue, un désir de connaître, une hypothèse, une profession de foi, une religion, la croyance enfantine que là-bas, derrière cette colline, c’est mieux, c’est plus propre. Seul l’homme tourné vers lui-même, enroulé en lui-même, goûtant sans cesse les joies et les horreurs de son propre cerveau, pourra toujours prétendre ignorer la religion.